Juliette Laffont
25 Oct 2021, 7:30
LA TRIBUNE – Selon une enquête de la Banque de France (août 2021), un chef d’entreprise sur trois n’arrive pas à recruter dans l’industrie, ratio qui s’élève à un chef d’entreprise sur deux dans les services. Peut- on parler aujourd’hui d’une pénurie de main-d’œuvre en France?
MEHDI TAHRI – Absolument, c’est une situation de pénurie. Il y a d’ailleurs un paradoxe entre d’un côté un taux de chômage important (qui est aujourd’hui à 8%) et de l’autre les difficultés de recrutement auxquelles font face les chefs d’entreprises. Cette pénurie de compétences est liée à deux principaux facteurs: l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois, et le déficit d’attractivité de certains métiers. La première problématique est structurelle et requiert donc des réponses structurelles, qui passent notamment par la formation, afin de rééquilibrer l’offre et la demande de compétences. La seconde problématique découle quant à elle de plusieurs facteurs: l’accessibilité en transports en communs de certains bassins industriels, la pénibilité du travail, la faible rémunération de certains métiers…
Pensez-vous que les entreprises vont augmenter les salaires pour stimuler le retour à l’emploi dans les bassins pénuriques?
Je pense que c’est une solution plausible et qui fonctionne, comme ont pu le constater les entreprises qui ont choisi cette option. La rémunération est donc un élément important pour inciter les actifs à se tourner vers des bassins industriels très pénuriques. Certains bassins logistiques concentrent énormément d’entrepôts ou d’usines, et donc une forte demande de compétences, mais peinent à attirer les candidats. Il est clair qu’ils sont amenés à repenser leur schéma de rémunération globale – que ce soit au niveau des salaires ou des primes annexes proposées -, pour rendre leurs métiers plus attractifs et stimuler le retour à l’emploi. Pour autant, la rémunération ne résout pas tout. Lorsqu’on interroge les collaborateurs intérimaires employés par iziwork, la plupart évoquent un besoin d’être accompagnés dans leur trajectoire professionnelle, et de sentir qu’ils peuvent monter en compétences et évoluer vers des secteurs différents de ceux dans lesquels ils ont débuté.
Quels sont les secteurs les plus touchés par la pénurie de compétences ? Constatez-vous chez iziwork des plus grandes difficultés de recrutement de main-d’œuvre chez les TPE et PME?
Les secteurs les plus touchés par la pénurie de compétences sont la logistique, l’agroalimentaire, l’automobile et l’aéronautique. Je pense personnellement que la taille de l’entreprise n’influe pas particulièrement sur les difficultés de recrutement, lesquelles relèvent davantage de facteurs comme le type d’emploi et la localisation. Des métiers comme ceux de techniciens de maintenance ou monteurs-assembleurs ne sont pas simples à pourvoir, et c’est l’une des raisons qui motivent un certain nombre d’entreprises clientes à se tourner vers iziwork.
Aujourd’hui, Pôle Emploi a dépassé le seuil du million d’offres d’emplois disponibles. A quelle échéance pensez-vous que la pénurie prendra fin et sous quelles conditions?
Il est difficile de donner une indication macroéconomique, mais une chose est sûre: à notre échelle, on remarque un retour assez fort des candidatures de la part d’individus qui ont envie de trouver du travail et de monter en compétences, ce qui laisse présager que la pénurie devrait s’atténuer à court ou moyen terme. Mais cette pénurie ne pourra être entièrement résorbée qu’à condition de développer des leviers structurels d’augmentation de l’employabilité des candidats au travers notamment de dispositifs de formation professionnelle. Chez iziwork, nous sommes convaincus que l’utilisation de la data permet d’identifier les offres d’emploi pour lesquelles le nombre de candidats compétents est insuffisant, et d’être ainsi plus efficace dans l’allocation des moyens de formation. Par exemple, le bassin de Moissy-Cramayel fait aujourd’hui face à une pénurie de caristes: en finançant à des intérimaires une formation leur permettant d’obtenir le diplôme du CACES, nous les rendons éligibles à ce métier pénurique, et leur garantissons également un niveau de rémunération plus élevé que celui de manutentionnaire. Outre la formation, un autre levier tient au renforcement de l’attractivité des métiers pénuriques. Cela implique bien sûr la question de la rémunération évoquée précédemment, mais également le développement de solutions de mobilité, pour permettre aux entreprises clientes d’accéder à des candidats qualifiés disponibles mais ne se trouvant pas à proximité des entrepôts ou usines cherchant à recruter.